Sic transit gloria… Macrini
« De l’avis de ses contemporains, le plus grand poète latin de la première moitié du XVIe siècle en France[1] », Jean Salmon est né en 1490 à Loudun où il mourut le 20 octobre 1557. Son attachement pour sa « petite patrie » le fit tôt employer le nom de Iuliodunensis – il fut le premier à appeler Loudun Iuliodunum et à faire descendre cette ville du prénom de César lui-même.
Quoique fils de boulanger, il eut une enfance digne d’un fils de lettré : son père, Pierre Salmon, après s’être tourné vers le commerce des céréales et marié à une jeune femme d’assez bonne condition, Nicole Tyrel, put offrir à son fils les rudiments d’une éducation humaniste. Son grand-père, Almaric Tyrel, son instituteur, Pierre Michel, et son père lui permirent de développer sa vocation poétique et la favorisèrent. Parti à Paris, capitale de la culture et des lettres, il fut le disciple de Jacques Lefèvre d’Étaples et de l’Italien Jérôme Aléandre, qui l’initia à la littérature grecque, et se lia à différentes grandes figures de son temps, Germain de Brie, Guillaume du Bellay ou Antoine Héroët. Il eut également la chance de recevoir l’appui et la protection de mécènes tels qu’Antoine Bohier, archevêque de Bourges, et des membres des familles Ribertet puis Du Bellay. Il fréquenta également certains des plus grands humanistes de son époque, au nombre desquels Guillaume Budé, Érasme, l’imprimeur Josse Bade et Nicolas Bérauld[2].
Le latin est d’emblée le moyen d’expression privilégié de Macrin : grâce à la langue de Virgile et d’Horace, il est en lien avec tous les grands humanistes européens, d’Érasme à Thomas More. Ses premières œuvres[3], qui datent du début des années 1510, sont dédiées à la religion, notamment à la Vierge et au Christ. Étrangement, malgré le succès de ses œuvres de jeunesse, Macrin ne publia rien pendant treize années, sûrement retenu ailleurs à cause de considérations matérielles et de nombreux voyages, son héritage étant bien mince.
En 1525, la vie de Macrin bascula, sur le plan personnel, et cela ne fut pas sans conséquence sur le plan littéraire : il rencontra une jeune femme de la bonne société loudunaise, Guillonne Boursault, alors âgée de 15 ans, dont il tomba immédiatement amoureux[4]. Les parents de Guillonne lui accordèrent sa main, malgré les originales sociales du poète. Cette rencontre fut à l’origine d’un retour à la poésie, une poésie pleine de vigueur et d’amour. Durant leurs trois années de fiançailles, Macrin composa le Carminum libellus, qu’il publia l’année même de son mariage avec Guillonne, qui eut lieu le 2 août 1528. Macrin avait 38 ans et Guillonne vingt de moins. Ce recueil lui valut l’admiration de tous les hommes de lettres de France et la charge enviée de valet de chambre et de lecteur du roi François Ier. L’affaire des Placards, en 1534, devait mettre un frein relatif à cette carrière de poète amoureux[5] : Macrin, un moment inquiété, prit peur, fit amende honorable et publia des Odes et les Hymnes, renouant ainsi avec la veine religieuse de son écriture. Cette partie de son inspiration l’accompagna jusqu’au brusque retour de l’inspiration amoureuse, sous le coup de la perte de Guillonne, en 1550, et du deuil qui s’ensuivit : les Nénies sont en réalité à la croisée des inspirations de Macrin, car l’aspect religieux n’est pas absent de son ultime recueil, bien que plus d’une fois le poète y mette en doute la capacité de la religion à soulager sa douleur.
Ce dernier recueil couronne l’œuvre d’un intellectuel, d’un mari, d’un chrétien, d’un érasmien, dont l’utilisation des mètres lyriques horatiens et la réintroduction du poète de Venouse lui valurent le surnom d’« Horace français »[6]. Malgré cela, la mémoire du poète loudunais s’enfonça peu à peu dans l’oubli et la plupart de ses œuvres ne connurent plus d’éditions, avant un véritable renouveau d’intérêt dans la seconde moitié du XXe siècle, dont I. D. McFarlane, P. Ford, G. Soubeille sont les précurseurs, suivis par P. Galand, M.-F. Schumann, S. Guillet-Laburthe et d’autres encore.
[1] P. Galand, « Moments d’intimité dans la poésie latine de Jean Salmon Macrin (1490-1557) », in La Circonstance lyrique, C. Millet (éd.), Bruxelles, P. I. E. Peter Lang, 2011, p. 183. Cf. aussi P. Ford, « Jean Salmon Macrin’s Epithalamiorum Liber and the Joys of Conjugal Love », in Eros et Priapus. Érotisme et obscénité dans la littérature néolatine. Études réunies et présentées par Ingrid de Smet et Philip Ford, Genève, Droz, « Cahiers d’Humanisme et Renaissance », vol. 51, 1997, p. 65, qui décrit Macrin comme « one of the most original of the Neolatin poets who were writing in the early decades of the sixteenth century in France… as well as one of the most influential on both Latin and vernacular writers in the first half of the century ». Nicolas Bourbon fait l’éloge de Macrin et de Germain de Brie dans ses Bagatelles (Nugarum libri octo, 1538, p. 78) : « Æetos egregios duos poëtas / Haec fert aurea, Brixium et Macrinum. »
[2] Il donna des cours sur Suétone avec lui et édita l’Ars poetica de Vida en 1527.
[3] Pour la liste complète, cf. l’onglet Œuvres.
[4] Cf. Carminum libri quatuor, fol. 5 r° : « Annos nata ter o puella quinos, / Ipsis quae mihi charior medullis, / Ambobusque ocellis… » (« Ô jeune fille âgée de quinze ans, qui m’est plus chère que mes moelles elles-mêmes et que mes deux petits yeux… »).
[5] Sur les accointances protestantes de Macrin, cf. I. D. McFarlane, « Jean Salmon Macrin (1490-1557) », Genève, Droz, « Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance », n° 22/1, 1960, p. 79.
[6] Cf. I. D. McFarlane, ibid., p. 81-82.
Pour une biographie détaillée, cf. J. Boulmier, Salmon Macrin, l’Horace français, Paris, Léon Techener, 1872, p. 1-14 ; L. Trincant, « La Vie de Salmon Macrin, excellent poète lodunois », Journal de Loudun, Loudun, Ernest Jovy, 1892 ; I. D. McFarlane, « Jean Salmon Macrin (1490-1557) », Genève, Droz, « Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance », n° 21/1, 1959, p. 55-84 ; n° 21/2, 1959, p. 311-349 ; n° 22/1, 1960, p. 73-89 ; G. Soubeille, Épithalames et Odes, Paris, Classiques Garnier, 1998, p. 17-120 ; id., « Jean Salmon Macrin », dans Centuriae latinae II. Cent une figures humanistes de la Renaissance aux Lumières, C. Nativel (éd.), Genève, Droz, « Travaux d’Humanisme et Renaissance », n° 414, 2006, p. 747-753.